LA LAVANDE OFFICINALE. Lavandula angustifolia.

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Nous sommes le 21 août, à 1400 m d’altitude au Nord du Mont Ventoux, sur le versant méridional du Mont Serein.
Il est 7 h du matin.
La dépression produite par la rencontre des deux Monts ouvre le ciel et trace un axe est-ouest étonnant ; la lune et le soleil éclairent les deux points cardinaux. Devant mes yeux, l’astre de nuit disparaît, laissant derrière lui un paysage lunaire, un plateau karstique* dénudé parsemé de genévriers nains, de pierres et d’herbes sèches. La végétation semble contractée, retenue au sol, stoppée dans son geste.
Pourtant à mes pieds, un buisson s’élève. Son feuillage forme un nid bienveillant aux tiges sûres, couronnées de fleurs de nuit. Le violet de l’épi attend le jaune de lumière** et le soleil embrase la terre … le violet de l’épi est lavé de lumière et le jour s’incarne.

* Plateau calcaire. L’aridité demeure car  l’eau s’infiltre en profondeur, créant des fractures, des cavités…
** Violet, couleur complémentaire du jaune. Cf le cercle chromatique de Goethe, et ses couleurs opposées.

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Sous l’ombrage des pins, la chaleur des résines embaume. Le soleil est au zénith.
Les cigales scandent un air de terre et de feu.
La carline, les échinops, les centaurées* composent avec les rayons dardant. Les graminées ondoient et perdent toute matière dans la lumière intense. Nullement troublés par la brise, les thyms à l’assise ferme exhalent une odeur poivrée qui vivifie l’être et éveille la pensée. La sarriette au parfum suave, presque humide apaise dans sa dernière note citronnée.

*Carline, échinops, centaurées sont de la famille des astéracées, anciennement composées. Famille d’une grande richesse, liée fortement au processus lumineux.

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La lavande officinale est là, paisible. Elle s’élève, en silence, dans la lumière.
Elle n’attend rien.
Elle est.
Elle pénètre profondément le minéral mais ne porte pas la pesanteur, elle s’adonne à la verticalité. Les premières branches forment du bois, le feuillage est dense mais les feuilles linéaires  étroites sont dressées vers le haut. Opposées deux à deux, elles modèlent la croix des quatre horizons*, structurent. Elles sont intimement liées aux tiges, garantes de l’axe terre ciel.
Ces tiges quadrangulaires **montent droites et austères mais elles sont nues et se laissent bercer par le vent. Elles ne portent ni feuillage ni rameaux secondaires. Dans ce dépouillement, les fleurs apparaissent diaphanes, à peine réelles. Leur couleur bleu, violet se nuance d’un buisson à un autre, d’une exposition à une autre, d’une terre à une autre.
Les fleurettes s’élèvent en cercles concentriques autour de la tige et forment un épi qui s’édifie dense et vertical. Elles ne sont pas soumises au parcours quotidien du soleil sur l’horizon, au rythme de jour et de nuit ; non, elles se sont redressées, créant un espace intérieur, intériorisé.
Alors de jour comme de nuit la lumière et la chaleur apprivoisées couvent en elles. Les essences***  dorées sont celées dans les calices tubulaires striés d’ombre**** ; obscurité et lumière cohabitent là encore, l’une étant la complémentaire de l’autre, jamais la secondaire. Et les bractées***** ambrées en forme d’écailles, derniers vestiges du pôle végétatif, sont consumées par les forces florales.
La fleur est là depuis la première heure, depuis la racine. Elle n’est pas visible, et pourtant… elle contraint le végétal qui ne peut pas s’allonger ni se déployer. La feuille se resserre, se fige dans sa métamorphose, soumise au principe supérieur.
La fleur subtile, s’est volatilisée dans son parfum, mais se trahit par son arôme. Il pénètre le front, vif comme une lance, et provoque un retrait presque brutal vers l’intérieur. Le corps s’élève, la respiration s’ouvre, la chaleur se dépose. On perçoit alors comme un parfum de rose.

* Feuilles opposées deux à deux. Au premier niveau dans l’axe Nord/Sud par exemple et à l’étage supérieur, dans l’axe est/ouest. En vue de dessus, dessin d’une croix. En botanique : opposées-décussées.
** Tiges à quatre faces, rigides, propre à cette famille de plantes.
*** Les essences : Substances élaborées par la plante. Appellation d’huiles essentielles après leur extraction.
**** Calice gamosépale, c'est-à-dire aux sépales réunis qui forment un petit sillon à l’endroit où ils sont soudés. Ses sillons abritent les structures productrices d’essences.
***** Les bractées sont des pièces florales en forme de feuilles. Intermédiaires entre la feuille et la fleur.

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La fleur n’est ni plane, ni sur un plan horizontal ; en se verticalisant, elle est devenu volume et contenant*. Sa face antérieure est dirigée vers l’avant, comme celle de l’animal.
Certains membres de sa famille, notamment les lamiacées de l’ombre et de l’humide, possèdent des gueules ouvertes et des lèvres qui leur conféraient autrefois le nom de « Labiées ». Elles se sont faites animales pour interpeller l’insecte, l’intérieur appelle l’extérieur et s’y ajuste étonnamment. L’exemple de la sauge sclarée et de l’abeille charpentière est saisissant.
La lavande a su préserver son intériorité pour accueillir l’abeille, porteuse de chaleur et de lumière.

*En botanique, on parle de zygomorphie ou de symétrie bilatérale.

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Chez les lamiacées dont l’environnement est marqué par la chaleur et la lumière, l’imprégnation florale est très forte, les fleurs se lient au végétal intimement. Les forces terrestres et les forces de chaleur se rencontrent dans le système rythmique de la plante.
Les forces terrestres structurantes sont présentes dans le quatre des tiges carrées et lignifiées et dans le quatre des feuilles opposées décussées*.
Les forces de chaleur vivent dans les essences et les arômes, elles imprègnent non seulement les fleurs mais aussi les feuilles.
On peut l’observer chez le thym, le romarin, la sarriette… La fleur isolée paraît insignifiante sur la branche et encore empreinte d’animalité, mais elle s’accomplit au sein de l’ensemble dans l’idée et le parfum.
Contrairement aux autres lamiacées, les fleurs de lavande officinale ne se perdent pas dans le feuillage, mais s’élèvent bien au-dessus. Elles n’y sont reliées que par une longue tige argentée.
La tige apparaît quadrangulaire toujours, elle est le quatre qui structure et maintient dans le solide, le tangible. Mais le quatre joue aussi un autre rôle, celui d’intermédiaire entre le monde créé et le monde créateur. Il est la porte Daleth**, le passage.
L’idée manifestée par la lavande ne peut pas se réaliser dans la sphère terrestre, seulement dans les éthers de chaleur et de lumière. La fleur violette épanouie n’a presque plus de matérialité, de réalité, elle s’évanouit dans le ciel au crépuscule.
Elle n’accomplit pas seule sa métamorphose mais en communauté de fleurettes qui édifient l’épi ; étymologiquement le préfixe -épi- signifie spica « pointe», il est aussi possible d’entendre le sens du préfixe -épi- qui signifie « au-dessus ». Alors, la fleur passe la porte, passe l’épreuve, s’élève au-dessus des influences terrestres et s’affranchit de l’animalité.

Ses pétales au nombre de cinq sont presque réguliers, plus proches cousins de la rose*** que du frère lamier mais la fleur ne semble pas tout à fait achevée dans sa forme...  Le passage du quatre au cinq est un long travail de maturation et de détachement….

* Feuilles en croix. Cf plus haut.
**Lettre hébraïque qui correspond au chiffre 4, symbole d’épreuve, de porte. « Ne peuvent la passer que ceux qui acquièrent les forces nécessaire pour vivre leur au-delà en affrontant les gardiens du seuil. » « Porte étroite qui exige le dépouillement, la pauvreté… » La lettre chemin de vie. Annick de Souzenelle. Albin Michel
*** Diagramme floral de la famille des rosacées basé sur le nombre 5.

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Le quatrième jour de la création, Dieu créa les luminaires, le grand pour présider le jour, le petit pour présider la nuit et les étoiles. Cette instauration va permettre le rythme, les repères, l’orientation, le cadre… Les lamiacées nous parlent de la lumière et de son rythme, elles l’ont intériorisée, la couvent dans leur substance, la portent dans leur structure.

Le feuillage du romarin est habité par les fleurs. La lumière et la chaleur sont descendues dans la sphère terrestre, se sont matérialisées dans son système rythmique. Le romarin nous éveille le matin, nous vivifie, nous incarne dans notre rythme quotidien.
Les fleurs de la lavande, au contraire, se sont détachées de l’influence terrestre, elles s’élèvent et nous élèvent, nous permettent le passage du jour à la nuit et nous bercent de leurs longues tiges. Elles nous apaisent et nous éclairent sur notre rythme quotidien que l’on perçoit d’un peu plus haut et d’un peu plus loin.

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 Il est 21 h sur le Mont Ventoux. Le soleil décline. Il couve déjà dans la fleur qui s’élève.

 

Bibliographie :
Rencontrer les plantes. Christian Escriva, Jean Michel florin. Amyris.
La Plante, une approche de sa vraie nature. G.Grohmann. Triades.
L’Homme et les plantes médicinales. Wilhelm Pelikan. Triades.
L’enfant et son jardin se créent. Olivier Coutris. IFEMA.
La Métamorphose des plantes. Goethe. Triades.
La lettre chemin de vie. Annick de Souzenelle. Albin Michel.
Roches et Paysages. François Michel. Belin pour la science.
Travail d’étude non publié sur les couleurs de Florence Lespingal.
Travail d’étude non publié de Pierre Martin sur les symboles et les chiffres.
Photos : Pierre Debue et Sophie Martin.