En chemin vers soi sur notre terre d’accueil.

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LE CHEMIN DE L’HOMME

Notre vie est colorée par un mouvement qui oscille entre un état de Grâce où tout est donné, et un état de peine, de « désolations » où nous devons labourer nos terres intérieures. Elle est un océan avec ses marées hautes et ses marées basses, son flux et son reflux. Elle est la vague puissante qui émerge des profondeurs puis expire sur la grève dans un bruissement d’écume ;  elle est le torrent tumultueux qui dévale le flanc des montagnes et s’éteint dans le murmure du ruisseau. La vie est insaisissable, pourtant, lorsqu’elle se retire, elle nous révèle sa forme en laissant son empreinte : des sillons, des chemins creux, des cavités mystérieuses, des bas-reliefs, les rides ensoleillées ou tristes de nos visages... Nos corps témoignent de la vie passée et présagent de l’avenir. Ils sont des paysages singuliers, terres joyeuses ou délaissées.

Dans un corps en bonne santé, nous contactons la « Puissance des Dieux » en nous ; nous sommes animés par des forces vigoureuses et confiantes, le monde nous appartient. Nous sommes dans l’élan, nous agissons, menons des combats. Nous brillons par nos actions, nous accomplissons notre destin. Dans nos multiples activités terrestres, nous sommes en relation avec nos semblables et tournés vers l’extérieur. Dans ce vivant, dans ce mouvement, nous n’avons pas toujours conscience de nos limites, ni la capacité de prendre du recul.

Nos corps souffrants nous rappellent la précarité de nos vies humaines. Dans un état de faiblesse physique ou psychique, nous contactons « l’impuissance »  liée à notre condition terrestre. Le chevalier invulnérable que nous étions est piégé dans ses propres marécages ou suspendu au-dessus du vide face à ses dragons. Nous pouvons nous révolter, user de nos dernières forces ou accueillir ce que nous vivons et y mettre du sens. Pour apaiser les vents d’orage ou panser nos blessures, nous comprenons que nous devons nous tourner vers l’intérieur. Nous cherchons à entrer en relation avec nous-même et avec ce qui nous dépasse.

Lorsque la mer se retire, sur le sable mis à nu, apparaissent des dessins d’arbres. De la même façon, lorsqu’en nous le mouvement de la vie se retire, la conscience se manifeste et des paysages oubliés font surface. Nous ne sommes plus dans l’action, nous réfléchissons… la lumière intérieure éclaire progressivement les pans de notre histoire. Nous offrons au monde non plus le fruit de nos actions mais notre humanité et notre dénuement.

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LE TEMPLE DE L’HOMME

Le mot méditer est relié à la pensée « médos », à l’action de se livrer à de longues et profondes réflexions. Ce même mot est issu d’un mot plus ancien encore « medeor » : se soigner. Lorsque nous méditons, nous éclairons et soignons notre intérieur. Nos yeux ouverts se dirigent naturellement vers la lumière du jour et les mouvements du monde. S’ils se ferment et se tournent vers l’intérieur, un autre regard peut vivre, un regard bien particulier car il ne s’altère pas avec le temps comme la vue, bien au contraire. C’est un retournement, une conversion du regard, une ouverture vers le dedans qui nous permet progressivement de prendre du recul sur notre quotidien, observer le mouvement de la vie dans son va et vient, écouter ce qui vit en nous, adoucir nos peines, accueillir ce que nous sommes sans fard, sourire devant nos pas hésitants, retrouver le calme et consolider nos fondements… une métanoïa.

Notre corps nous parle, il contient la vie, le souffle et la chaleur. Il est le théâtre sentant de nos joies, de nos peines, de notre existence. Il est une architecture qui se nuance avec le temps, colorée par l’être qui l’habite.

Notre corps est un temple, réceptacle de notre humanité.

Dans notre vie active et foisonnante, nous sommes dans le jardin du temple. Lorsque nous entrons en méditation, nous faisons halte sur le parvis du temple. Nos paupières sont closes et petit à petit, le brouhaha du monde que nous avons emporté avec nous, retourne d’où il vient. Sous le tympan du portail, les portes se sont ouvertes car, à présent, nous écoutons au-dedans de nous. A l’intérieur, les fresques du passé recouvrent les parois, des restaurations sont achevées ou en cours. Certains jours, nous descendons dans la crypte pour nous assurer des fondements ; une flamme veille dans l’obscurité. Le chœur nous appelle lorsqu’il est baigné de lumière, mais parfois nous devons restaurer ses fissures, soigner les anfractuosités, rehausser les piliers.

En méditant, nous devenons un compagnon du devoir, qui, comme au Moyen-Age, œuvre à l’intérieur d’un même édifice, d’un même corps, le temps d’une vie, sans se décourager.

Les jours de dérive, nous sommes assaillis par des vents désordonnés, entraînés bien loin de nous-même et lorsque les vagues nous submergent, la méditation devient presque impossible… Une prière tournée vers le monde des étoiles peut alors nous aider à redresser notre mât, à entrevoir le rivage et la lueur du temple. Elle nous élève au-dessus des nuages.

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LA NATURE EN L’HOMME

Les journées de soleil intérieur, notre assise de méditant est stable et paisible, la voûte arrondie de notre front communique avec la voûte étoilée. Nous nous sentons pleinement dans notre terre et dans notre ciel ; entre les deux, notre souffle tranquille s’épanouit parfois dans un soupir. Paracelse écrit : « Il n’y a rien au ciel et sur la terre qui n’existe également dans l’Homme »**

Nous pouvons percevoir comment nos corps vibrent en écho avec la nature alentour : un paysage à perte de vue, une prairie sauvage, un vol d’oiseaux effleurant l’écume, un arbre mort ouvrant les bras, un marais frémissant de vie, l’or ondulant des graminées… La nature résonne en notre âme, s’adresse à notre âme, lui rappelle nos origines.

La Nature est un livre ouvert qui s‘offre à celui qui la contemple.

Mais nous l’écoutons peu et la considérons souvent comme notre corps : un outil au service de nos actions, le terrain favorable ou défavorable de notre expression. Nous cherchons à la maîtriser, à la dominer, à l’asservir.

La nature est généreuse, elle se donne sans compter puis se retire sans mot dire et laisse à l’homme toute la place. Nous commençons à percevoir aujourd’hui qu’en la maltraitant, plutôt que de parvenir à nos fins, nous précipitons notre fin. L’Homme est un être libre, il peut choisir de demeurer séparé de lui-même et de la nature ou il peut choisir de se relier à lui-même et au monde vivant. Mais quelle que soit sa folie ou son ignorance, la nature est en lui.

La nature vit en nous, la nature est un temple : alors qu’elle nous appelle au dehors, elle nous convie au dedans. Lorsqu’elle chante et bourdonne, notre cœur célèbre et rayonne ; lorsqu’elle rugit ou gronde, notre être se redresse et écoute ; lorsqu’elle meurt sous nos pas, nous prenons conscience et tombons à genoux...

Depuis la nuit des temps la nature nous enseigne et nous soigne.

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Etre soignant implique d’approfondir ses connaissances sur le macrocosme et l’homme-microcosme, de comprendre les rythmes qui gouvernent nos corps et la vie sur terre, de connaître les substances médicinales issues de la nature… Il s’agit au départ d’un savoir théorique qui progressivement se mue en connaissance vivante. L’étudiant peut devenir un soignant véritable en arpentant la nature du dehors et sa terre du dedans. C’est par l’expérience et la contemplation méditative qu’il verra ses convictions se transformer en interrogations paisibles, son agir en capacité d’accueil et d’écoute, son attention en amour. Au cœur de la nature, au-delà d’une observation rigoureuse il ne pourra plus se départir d’un sentiment d’émerveillement. Auprès de ses patients, au-delà des questions d’usage, il percevra l'humanité de chaque être. Des intuitions profondes lui seront données et lui permettront de trouver la parole juste, le geste juste et la substance bienfaisante.

L’Homme-soignant pourra accompagner l’Homme-patient dans "ce chemin vers soi sur notre terre d’accueil".

* Paracelse. L’homme, le médecin, l’alchimiste  par Béatrice Whiteside et Serge Hutin. Edition la Table ronde. P 38.